L’agglomération antique du Castellas est établie sur une des collines qui ceinturent le bassin de Murviel-les-Montpellier, au nord du village. Le sommet, à plus de 190 m d’altitude, offre une vue exceptionnelle vers les Cévennes, au nord, et la mer, au sud. Cette position privilégiée constitue l’un des atouts principaux du site naturel actuel.
L’établissement naît probablement au début du IIe s. av. J.-C. Cette période correspond à la fois à un développement important des sociétés protohistoriques du Midi et à une présence de plus en plus sensible de Rome, qui se concrétisera par la conquête de toute la région à la fin du IIe s. av. J.-C. L’agglomération a été identifiée récemment comme le chef-lieu des Samnagenses, peuple gaulois dont le nom est mentionné par Pline l’Ancien au milieu du Ier s. ap. J.-C. Bénéficiant du «droit latin», cette communauté est devenue indépendante dès le milieu du Ier s. av. J.-C., ce qui explique le développement rapide de la ville. Cette prospérité ne durera pas. Ne pouvant résister devant la croissance des grands centres urbains, l’agglomération perdra son indépendance (vers la fin du Ier s. apr. J.-C. ?) et sera intégrée dans la cité de Nîmes. Les premiers signes de déclin apparaissent dès le IIe s. apr. J.-C. et, au milieu du IIIe s. apr. J.-C., la plus grande partie de l’agglomération semble désertée. Après son abandon, le site ne sera pas réoccupé, le nouveau village de Murviel s’installant sur une colline plus au sud.
Entre le début du IIe s. et le milieu du Ier siècle av. J.-C., la ville se dote d’une enceinte monumentale qui connaîtra plusieurs états de construction. À l’apogée du site, elle se développe sur près de 2 km et ceinture une superficie de 27 ha, presque entièrement construits. À l’intérieur, l’occupation s’organise en deux zones distinctes : le sommet plat et une série de terrasses aménagées forment ce qu’on appelle la «ville haute» ; en contre-bas, la «ville basse» occupe un vaste espace descendant en pente douce jusqu’aux abords du village actuel. L’organisation interne reste largement méconnue, en particulier le réseau des voies. Les quartiers actuellement reconnus sur les terrasses de la ville haute semblent autant voués aux activités artisanales qu’à l’habitat (vestiges de fours, bassins…) tandis que l’habitat résidentiel semble s’être davantage installé dans la ville basse, comme le montrent les fouilles en cours dans le secteur à proximité de la porte nord.
La partie la mieux connue est le centre monumental, installé à la jonction de la «ville haute» et de la «ville basse», devenu, à partir du milieu du Ier s. av. J.-C., le forum de la ville des Samnagenses. Il couvre une superficie de 4000 m2. Au centre, une grande place de 35 m sur 60 m est établie sur une terrasse en terre-plein. Elle est limitée, au sud, par un mur de soutènement et bordée, sur les autres côtés (deux sont actuellement reconnus à l’ouest et au nord), par un portique. Le portique nord ouvre sur une série de salles adossées à la colline. Une partie d’entre elles (dans la moitié est) appartient à un monument public d’un premier état dont la fonction reste encore inconnue (monument «tardo-hellénistique»). Au sud, un grand monument dont le plan se rapproche d’un temple classique (d’ordre corinthien) est venu, dans un second temps, compléter l’organisation architecturale en fermant ce côté de la place. Il est encadré de deux escaliers permettant d’accéder à l’espace public depuis l’extérieur.
Résultats de la campagne 2011
L’année 2011 est la première d’un nouveau programme triennal, le quatrième, sur le site du Castellas. L’exploration se développe sur trois zones. Deux ont été ouvertes récemment, la première, au sommet de la colline, en bordure d’un tronçon de l’enceinte de la ville haute à l’emplacement d’une poterne (zone 8, chantier dirigé par Alexandre Beylier), la seconde sur une zone d’habitat de la ville basse (zone 4, chantier dirigé par Grégory Vacassy et Ghislain Vincent). La troisième est le centre monumental dont le dégagement complet a été entrepris depuis 2001 (zone 1, chantier dirigé par Patrick Thollard). Les opérations de fouille intra-muros ont été complétées par une campagne de prospection sur le territoire de la commune dans le cadre d’un stage de formation pour les étudiants, pendant les vacances de printemps (stage dirigé par Gérald Sachot).
L’enceinte de la ville haute : la poterne nord-ouest
Les investigations menées sur ce secteur ont commencé en 2010. La zone explorée se situe vers le sommet du plateau, au lieu-dit Le Château. Elle a fait l’objet en début de campagne d’un agrandissement à la pelle mécanique, la surface ouverte l’année précédente s’avérant trop réduite pour qu’on puisse interpréter l’organisation de la poterne et de ses abords immédiats. Une extension de 8 à 12 m a ainsi été effectuée vers l’est. Au total, l’aire de fouille couvre désormais environ 220 m².
L’espace nouvellement ouvert a notamment permis de repérer une partie d’un îlot d’habitation qui borde au sud la voie longeant l’enceinte. La poursuite du sondage effectué dans l’angle nord-ouest de la zone (secteur 2a) a, par ailleurs, révélé l’existence d’une structure en pierres venant s’adosser à la fortification, antérieurement à la mise en place de la voie. Lors d’une phase qui tendrait à remonter au IIe s. av. J.-C., l’habitat serait établi directement contre le rempart. L’aménagement de la voie le long de l’enceinte n’intervient que dans un second temps. Cette réorganisation urbanistique reste toutefois mal définie en l’état actuel des recherches. En effet, les vestiges appartenant à cette période commencent à peine à être explorés. L’essentiel des travaux de cette campagne a porté sur l’ultime occupation de la zone, qui date du deuxième quart du Ier s. av. J.-C.
Dans le secteur 1, le fond du dépotoir installé avant l’abandon définitif de la zone, face à la poterne, a été atteint. Les niveaux sous-jacents ont pu par ailleurs être reconnus : ils correspondent à la fois à la destruction des bâtiments installés contre le rempart et à celle du rempart lui-même. À l’est, l’espace nouvellement ouvert (secteur 4) correspond, lui aussi, à une aire de décharge, qui s’avère n’être que le prolongement de celle du secteur voisin. Cette zone de déchets se poursuit à l’est au-delà des limites de fouille, si bien que son étendue totale demeure inconnue. Néanmoins, elle n’empiète que très légèrement, au sud, sur les niveaux de circulation de la voie. Cette limite traduit la volonté de maintenir la voirie en l’état, et ce jusqu’à l’abandon de ce secteur de la ville haute, en confinant le dépotoir dans un recoin de l’habitat, contre le rempart.
L’habitat de la ville basse
L’exploration de cette partie de l’agglomération antique a débuté en 2009, à la suite du diagnostic de 2006. Rappelons ce qui est désormais acquis concernant l’organisation générale de la zone. Les vestiges dégagés correspond à un même ensemble —appelé bâtiment A— situé en bordure de l’enceinte mais dont l’orientation est indépendante de cette dernière. A l’ouest, séparé par un étroit passage, se développe un autre ensemble, B, dont seule la limite orientale est reconnue : sa façade nord est alignée sur celle du précédent, en bordure d’un espace ouvert encore mal caractérisé. A l’est, l’espace de circulation qui sépare le bâtiment A de l’enceinte conduit à une poterne aménagée dans un rentrant que dessine la fortification. L’îlot se développe sur deux paliers nettement séparés : l’un, au sud en surplomb et l’autre, au nord, en contre bas.
Sur le palier supérieur, au sud, les travaux ont été limités à quelques travaux de vérification permettant de compléter le plan des vestiges dégagés ou d’apporter des précisions chronologiques. Ainsi, une cloison a été mise en évidence au sud de la pièce 1. Quant au dolium situé à l’angle de deux murs à l’ouest de l’escalier, on sait maintenant qu’il est installé lors de la dernière période d’occupation du bâtiment, dans les années 20-30 ap. J.-C. À la jonction entre les deux paliers, au nord, le dégagement complet de l’escalier reconnu en 2010, a permis de mieux cerner sa mise en oeuvre ainsi que celle de la porte qui lui est associée. Ces deux éléments sont l’indication d’un remaniement important à l’intérieur du bâtiment.
Sur le palier nord, la pièce 3, dont la fouille avait commencé en 2009, a été entièrement dégagée. Le pavement est un terrazzo à incrustations de tesselles noires dessinant un réseau de losanges encadrant un motif central composé d’une rosace inscrite dans un carré : celle-ci n’est pas exactement au centre mais légèrement décalée vers l’ouest. Les murs sont en terre au nord et à l’est et en pierre à l’ouest et au sud, différence qui correspond à leur fonction respective : cloisons pour les premiers et murs porteurs pour les seconds. La pièce porte des marques de transformations qui montrent des changements dans son organisation et sa fonction au cours du temps. Le décor du sol, avec le motif principal décentré, évoque celui d’un triclinium et indique que l’entrée se faisait à l’origine du côté est. A la base du mur sud, un seuil monolithe indique l’existence d’un autre accès ouvert ultérieurement et destiné à mettre en relation les deux corps de bâtiments, jusque là séparés, par l’escalier dont on a parlé précédemment. L’existence d’une porte de communication entre les deux paliers ouverte dans la pièce 3, porte dont le verrouillage n’est possible que depuis l’escalier, c’est-à-dire «l’extérieur», est significative de l’importance des changements. La pièce 3 perdant sa fonction de salle de réception pour ne devenir qu’un simple lieu de passage, c’est l’ensemble de la communication entre les différents espaces ainsi que la hiérarchie s’établissant entre eux qui sont modifiés avec la création de l’escalier et de la porte. Cependant, ce nouvel accès ne sera ouvert qu’un bref moment. Il sera condamné dans le dernier état d’occupation par un mur de bouchage. C’est à cette dernière phase qu’il faut peut-être rattacher deux fosses, l’une à l’angle nord-est du pavement et la seconde, à l’angle nord-ouest, mais à l’intérieur de la pièce.
A l’ouest de la pièce 3, la fouille de la pièce 4 n’a pu être terminée cette année en raison de l’importance des niveaux d’effondrement des élévations en terre avec les enduits peints dont elles étaient revêtues. Leur prélèvement systématique est une tâche nécessairement longue et délicate. La pièce est pourvue d’une banquette doublant le mur ouest et les murs sont recouverts d’enduits peints au décor encore partiellement conservé. L’accès semble se faire par l’angle nord-est. La nature du sol est encore inconnue. Au nord de la pièce 3, l’espace 9, au sol de terre battue, n’est que partiellement dégagé, sa limite orientale demeurant inconnue. S’il s’agit, comme cela est possible, d’un espace découvert (une cour ?) elle pourrait s’étendre beaucoup plus vers l’est.
On le voit, on est encore loin de comprendre l’organisation et l’évolution de cette partie de l’îlot. Il se confirme toutefois que des modifications importantes ont eu lieu dans les dernières périodes d’occupation. En termes de chronologie, les choses se précisent. Le mobilier découvert dans les niveaux d’abandon des pièces 3 et 9 situe la fin de l’occupation de ces deux pièces vers le milieu du Ier s. apr. J.-C.
Concernant les espaces extérieurs, le travail s’est porté uniquement sur la zone de circulation à l’est du bâtiment. Depuis l’année dernière, l’espace trapézoïdal ménagé entre le rempart et l’îlot est clairement défini comme un axe de circulation qui longe, au sud, le mur oriental de l’ensemble A. Dans le sondage ouvert depuis l’année 2009, les niveaux de circulation ont été entièrement fouillés et on a atteint ceux correspondant à la stabilisation et la préparation de la voie. La fouille s’est arrêtée à l’apparition de couches probablement liées à la phase de construction de l’enceinte ou de l’îlot, qui seront explorées l’année prochaine. La poursuite de la fouille, au nord de ce sondage, a mis en évidence une rampe en chicane dont les niveaux les plus récents ont été repérés (en particulier un dépotoir installé dans un recoin de l’îlot), ainsi que les couvertures de deux caniveaux. Mais l’essentiel de l‘exploration reste à faire.
Enfin, les travaux de cette année ont apporté des surprises dans le secteur de l’enceinte, avec la découverte d’un massif doublant le rentrant de la courtine dégagé les années précédentes. S’il est maintenant assuré qu’on a affaire à une poterne (et non à un passage carrossable), la forme précise de cette dernière nous échappe encore. du reste, il est possible que les vestiges dégagés appartiennent à deux états distincts. En dernier lieu, la mise en évidence de niveaux d’occupation conservés au pied du rentrant de la courtine, à l’extérieur de l’agglomération, est un élément tout à fait nouveau. La poursuite des fouilles devra déterminer si cette séquence stratigraphique est liée à la construction de l’enceinte ou si elle appartient à une période nettement antérieure.
La zone monumentale
Au cours de la première année de ce programme triennal, seuls trois des quatre secteurs dont la fouille avait été envisagée ont pu être commencés et l’ouverture de la partie située dans l’angle sud-est du complexe monumental a dû être reportée à l’année 2012. Ce report n’a cependant pas affecté de manière importante la campagne 2011.
L’esplanade centrale
Au centre de l’esplanade, le secteur 10, situé aux abords du collecteur qui traverse la place du forum, a été élargi à la fois vers l’est et vers l’ouest. A l’est, un dégagement conséquent de l’aire de galets antérieure à la mise en place des remblais de l’esplanade a montré qu’il s’agissait d’un vaste espace de circulation, vraisemblablement de caractère public, mais dont les limites ainsi que la nature (cour ou voie) restent encore à définir. Au sud, cet espace est situé en bordure d’une zone d’habitation qui sera ensuite recouverte par le forum.
A l’ouest, le décapage des niveaux de remblais mis en évidence devant la porte sud-ouest a été étendu vers le collecteur à partir de la limite atteinte les années précédentes (secteur 16 du programme antérieur). Il se confirme qu’à l’origine il y avait bien deux zones topographiquement distinctes, marquées par une limite nette, celle que suit le tracé du grand collecteur qui traverse la place du nord au sud. D’un côté (à l’est du collecteur), le niveau du terrain naturel est très peu profond, affleurant même rapidement, si bien que les remblais de nivellement ont été peu importants et n’ont demandé aucune opération particulière. De l’autre, (à l’ouest du collecteur), en revanche, la dénivellation devait être très importante et elle a exigé des constructeurs des mesures spécifiques. Les fouilles de 2011 en ont donné une illustration par la mise en évidence, dans la partie supérieure des remblais, d’une alternance de niveaux de mortier et de marne, aménagés avec grand soin pour constituer un soubassement stable et horizontal au sol de la place.
L’entrée sud-ouest
Les abords de l’entrée sud-ouest (secteur 15) ont fait l’objet de plusieurs opérations distinctes. L’exploration de la partie à l’ouest de l’escalier a été poursuivie sur une bande d’un peu moins d’un mètre de largeur, jusqu’au niveau du sol extérieur au forum. Le dégagement a mis au jour le prolongement du mur d’un état antérieur qui a été utilisé ensuite pour appuyer le massif de l’escalier. Les niveaux qui recouvrent le sol appartiennent exclusivement au dépotoir exploré l’année précédente, dont l’épaisseur est très importante (entre 50 cm et 80 cm). Ils ont livré une quantité de mobilier considérable, parfaitement homogène avec celui recueilli lors des campagnes précédentes et attribuable au troisième quart du IIe s. apr. J.-C.
Le dégagement de la voie menant au grand escalier a été poursuivi et les premiers niveaux de circulation reconnus. Y sont associés des vestiges de construction, repérés au sud, mais leur dégagement est impossible en raison de la présence du chemin de service. Vers l’est, les limites de la tranchée de récupération du collecteur qui débouche de l’exèdre ouest du monument corinthien ont été définitivement reconnues. Le collecteur a été démonté (à une date inconnue) sur une faible longueur, à peine 5 m, à partir de sa sortie du monument corinthien. À l’extrémité sud, la première dalle de couverture conservée, en calcaire coquillier, a été mise au jour, recouverte par les niveaux de la voie. Le comblement n’a pas encore été fouillé. La poursuite des travaux permettra de préciser les relations stratigraphiques entre les différents niveaux de la voie, le collecteur et l’escalier.
Le portique nord
Au nord (secteur 13), le dégagement méthodique du portique se continue. Une nouvelle salle en arrière du portique (10) a été reconnue et presque entièrement dégagée. Elle est construite en blocs de grand appareil de calcaire coquillier et appartenait, comme les salles voisines, à un édifice antérieur (le monument «tardo-hellénistique») avant d’être intégrée ensuite dans le forum, à partir du milieu du Ier s. av. J.-C. À cette occasion, elle a été réaménagée : le mur du fond (nord) reçoit un doublage en moellons de calcaire froid tandis que des tuiles plates, maintenues par des crochets en fer, sont plaquées sur les murs de refend faisant office de joint d’isolation. Les murs sont revêtus d’enduit peint sauf dans la partie inférieure où se lisent les traces d’une plinthe en placage de marbre. Le sol, qui reste à dégager, est décoré d’un opus sectile. L’élévation conservée est impressionnante : plus de 3 m. La partie supérieure du comblement était constituée par l’écroulement des blocs de grand appareil du mur du fond. Au total 43 blocs de grand appareil ont été retirés du comblement de la salle dont deux chapiteaux toscans provenant très vraisemblablement de la colonnade du portique et un tambour de colonne appartenant peut-être à un étage.
Les deux travées du portique correspondantes n’ont pu faire l’objet que d’un nettoyage superficiel. L’opération a malgré tout permis de dégager, en bordure de l’esplanade, des vestiges de monuments honorifiques. Le mieux conservé est une base de statue devant une des colonnes du portique nord mais brisée en deux moitiés, l’une en place sur son socle et l’autre basculée vers l’avant. L’inscription qui mentionne deux frères, magistrats à Nîmes, venus rendre hommage à leur père sur le forum de Murviel pourrait, selon une conjecture de Michel Christol, être un témoignage de la fin de l’indépendance des Samnagenses dans la première moitié du IIe s. apr. J.-C.
Enfin, sur la place, à quelques mètres au sud de la base de statue, a été mise au jour une base de colonne qui pourrait indiquer le départ de la branche orientale du portique encadrant le forum. Mais elle ne situe pas là où on l’attendait : elle aurait dû se trouver 5 m plus à l’est si les deux branches latérales du portique étaient symétriques. C’est peut-être le premier élément qui témoignerait d’une organisation différente de la partie orientale du forum (une basilique ?…)