Article paru le 28/02/2019 sur le site : reporterre.net
La commune de Murviel-lès-Montpellier a fait le choix de développer une agriculture locale et agroécologique. Cela passe, notamment, par l’aide à l’installation d’éleveurs de chèvres sur des terrains municipaux.
SPÉCIAL SALON DE L’AGRICULTURE — À l’occasion du Salon international de l’agriculture, la vitrine des « puissants » du secteur, Reporterre a choisi de mettre en avant les « petits », ceux qui bousculent les codes du milieu. Toute la semaine, nous présenterons des alternatives qui marchent. Samedi, nous avons fait le point sur la situation des néo-paysans, lundi, nous avons enquêté sur la floraison des microbrasseries lorraines, mardi, nous avons rencontré des producteurs d’amandes, mercredi, le « paysan-chercheur » Félix Noblia nous a fait découvrir ses expérimentations agroécologiques. Aujourd’hui, nous vous emmenons près de Montpellier, où une municipalité œuvre à l’installation d’éleveurs sur les terrains communaux.
- Murviel-lès-Montpellier (Hérault), reportage
Depuis l’autoroute A75, à l’entrée de Montpellier, une petite route serpente à travers la garrigue. Pins et chênes verts se déploient sur les collines calcaires, tandis que les ceps de vignes s’accrochent en ligne aux coteaux caillouteux. Après un virage, au milieu de prairies jalonnées d’arbres bourgeonnants, le hangar des Quatre-Pilas déploie sa silhouette grise. C’est là qu’une soixantaine de chèvres bariolées patientent en mâchonnant leur repas du matin. Après trois heures passées à parcourir les sous-bois, elles sont de retour pour une « pause digestion ». Pendant ce temps, Bruno et David Girard s’activent, marteau et perceuse en main. Les deux chevriers, père et fils, doivent finir la fromagerie avant que les bêtes ne mettent bas et commencent à produire du lait, fin mars. Des amis sont venus leur prêter main-forte. « C’est un sacré boulot, mais on est si heureux de s’installer ici, ça nous donne de l’énergie », sourit Bruno Girard.
- Les chèvres des Girard, père et fils.
Cette installation, le paysan en rêve depuis longtemps. D’abord ouvrier agricole, il s’est ensuite établi dans le nord de l’Hérault avec quelques chèvres. « Mais nous étions trop à l’étroit, coincés entre les vignes, il n’y avait pas moyen de développer une activité viable. » Il s’est alors mis en quête de terres dans le département. Mission qui s’est vite révélée ardue, voire impossible : « Nous n’avions pas d’argent, et j’étais trop vieux pour percevoir les aides à l’installation [la dotation jeunes agriculteurs est réservée aux moins de 45 ans], raconte-t-il. Je cherchais donc des terres à louer, mais tout est très cher par ici. » Dans une région soumise à la pression immobilière et à la spéculation foncière, l’hectare coûte en moyenne 9.000 euros, mais selon les zones, il peut monter jusqu’à 27.000 €. Sur les conseils de l’association Terres vivantes, Bruno Girard a frappé il y a un peu plus d’un an à la porte de la mairie de Murviel-lès-Montpellier, à une dizaine de kilomètres à peine de la capitale régionale. Avec succès.
« Il faut amorcer la pompe de la relocalisation agricole »
« Nous cherchions à installer des chèvres sur la commune, comme il y en avait eu par le passé,confirme Isabelle Touzard, maire du village de 2.000 habitants. Nous avions hérité de 36 ha dont les municipalités précédentes voulaient faire un parc d’attractions. Mais cela nous semblait plus important de développer une agriculture locale et agroécologique. » Depuis 2014, l’équipe municipale, issue d’une liste citoyenne à tendance écolo, se démène pour soutenir ses agriculteurs. Accompagnement des vignerons dans la construction de chais et de lieux de dégustation, création d’un marché, mise à disposition de terres pour un berger, soutien à l’installation d’apiculteurs. « L’agriculture doit avoir une place ici, même en zone périurbaine estime Mme Touzard. Dès lors qu’elle est menée de manière agroécologique, elle apporte énormément de bienfaits au territoire. »
« La métropole montpelliéraine explose démographiquement et la production locale ne permet absolument pas de répondre aux besoins alimentaires, poursuit celle qui a créé au sein de l’intercommunalité une délégation chargée de l’agroécologie. Il faut amorcer la pompe de la relocalisation agricole, afin de répondre aux attentes, mais aussi afin de produire une alimentation saine, nutritive et abordable pour tous, notamment les populations en difficulté. » L’agglomération de Montpellier compte en effet de nombreux quartiers objet de la politique de la ville, où la précarité conduit à une diète alimentaire appauvrie.
- David et Bruno Girard.
Dans ce renouveau de l’agriculture périurbaine, les éleveurs ont toute leur place : « Avec la déprise agricole autour de la métropole, de nombreuses terres se sont enfrichées, emboisées, et ce n’est pas bon », analyse Mme Touzard, ingénieure agronome de formation. Notamment pour les feux de forêt, courants dans la région. Car une pinède flambe bien plus vite qu’un pré. Les fourrés et taillis constituent autant d’allume-feu redoutablement efficaces. Maintenir des milieux ouverts en y faisant paître des troupeaux « débroussailleurs », participe donc de la prévention contre les incendies, mais pas uniquement : « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’enfrichement signifie un appauvrissement de la diversité végétale et animale, précise Mme Touzard. De nombreuses espèces ont besoin d’une mosaïque de milieux, dont des zones ouvertes, comme des prairies, pour se développer. »
Le Conservatoire des espaces naturels (CEN) est d’ailleurs cogestionnaire des terres pâturées par les chèvres. Dans le cadre d’une compensation écologique pour la construction d’une route voisine, le Conservatoire s’est en effet engagé à maintenir des écosystèmes protégés et diversifiés sur la commune. Or, la présence du troupeau « permet d’éviter l’embroussaillement avec des chênes kermès et des genévriers cades, de ne pas avoir des milieux où on ne circule plus, sauf si on est un sanglier », observe Bruno Girard.
« Les élus locaux ont un rôle très fort à jouer pour favoriser l’agriculture locale »
Lors de l’arrivée des éleveurs, les vignerons de la commune se sont également montrés très intéressés. Car l’hiver, les chèvres pâturent dans les vignes, amendant la terre avec les crottes et broutant les mauvaises herbes. « Par contre, il faut les retirer impérativement dès les premières feuilles, car elles en sont très gourmandes ! » rappelle Bruno Girard. L’élevage en péri urbain nécessite ainsi une attention constante de la part des chevriers. « Nous gardons le troupeau chaque jour, toute l’année, car si on le laisse faire, il peut facilement se retrouver sur une route, dans les jardins des habitants, décrit l’éleveur. Il s’agit aussi de préserver nos bêtes des“prédateurs” : les chiens errants, mais aussi les domestiques accompagnant les randonneurs. »
Excepté ces inconvénients, l’installation à Murviel-lès-Montpellier a été « une occasion formidable », dit David Girard. La mairie leur loue le hangar, qu’elle a raccordé au réseau électrique et à l’eau courante, et met à disposition les terres. Grâce à un microcrédit, à une subvention privée et à un financement participatif, les éleveurs ont remis le bâtiment à neuf : il accueille désormais 68 chèvres alpines, espagnoles et allemandes aux robes brunes, caramel ou blondes. Ils ont aussi construit un laboratoire, qui permettra d’ici à deux mois de fabriquer chaque jour de petits fromages lactiques, vendus dans les boutiques alentour et au marché du village. Quant aux chevreaux, comme « la viande ne se vend pas bien ici », regrette Bruno Girard, les animaux sont exportés dans le Vaucluse voisin. Au total, l’installation aura coûté 20.000 euros.
- La mairie loue aux éleveurs un hangar, qu’elle a raccordé au réseau électrique.
« Les élus locaux ont un rôle très fort à jouer pour favoriser l’agriculture locale, pense Isabelle Touzard. Mais les petites communes n’ont souvent ni les moyens financiers, ni les outils juridiques, ni les connaissances nécessaires. » D’après elle, il est donc nécessaire de mutualiser les énergies et les compétences. L’élue a ainsi participé à la mise en place d’une Association foncière agricole (AFA) au niveau de la métropole montpelliéraine, afin d’identifier le foncier disponible, de le remettre en état et de le mettre à disposition des agriculteurs. « Cela permettra aussi de chercher des financements, et d’accompagner les porteurs de projets », ajoute-t-elle. L’AFA devait être votée par le conseil communautaire début 2019, mais, pris dans des imbroglios politiques, les élus ont repoussé la décision. « En ville, il existe des sociétés d’aménagement qui font des quartiers, qui impulsent l’urbanisme, note Mme Touzard. En zone rurale, il n’y a rien de semblable, rien n’est mis en place pour accompagner l’aménagement des campagnes. Il faut y remédier. »